Par Kerry Flynn, 22 janvier 2017
En 2017, Snapchat pourrait bien devenir un acteur majeur de l’industrie musicale. Aimé des artistes comme des maisons de disques, le réseau social mise de plus en plus sur le business lucratif de la musique.
Tout a commencé avec une vidéo Twitter, annonçant : “Une nouvelle chanson arrive vendredi”. Puis, une vidéo Instagram révélait un beat et quelques paroles.
Mais lorsque la star de la pop Ed Sheeran a enfin eu envie de dévoiler son nouveau titre en intégralité à ses fans, il est allé sur Snapchat. À travers un de ces filtres en réalité augmenté de l’appli, les utilisateurs ont pu enfiler virtuellement une paire de lunettes de soleil et écouter 30 secondes d’une chanson inédite d’Ed Sheeran.
Les fans de l’artiste ont découvert cette petite surprise cachée en même temps que d’autres stars parmi lesquelles le chanteur Shawn Mendes, qui a partagé sur les réseaux sociaux le titre de son pote.
RT”@ShawnMendesFans: .@ShawnMendes jamming to @edsheeran’s new song via Snapchat! pic.twitter.com/zBGiywPmlh”
— Zulfah (@zulfahainy) 6 janvier 2017
Cette utilisation de Snapchat par Ed Sheeran est l’un des exemples récents des usages de l’application comme puissant outil de distribution de la musique. Là où d’autres plateformes numériques sont parasitées par les problèmes du piratage, Snapchat est devenu ce DJ star avec qui tous les artistes rêvent de collaborer et de voir leur chanson jouée, dans un format fun et innovant.
Au cours des deux derniers mois par exemple, les utilisateurs de Snapchat ont aussi pu porter des lunettes et passer en noir et blanc au son du titre “Now and Later” du rappeur Sage the Gemini.
Mais contrairement à d’autres lancements marketing, il n’y avait aucune mention avec le nom de l’artiste ou de son label sur les filtre Snapchat de Sage the Gemini ou d’Ed Sheeran. Les utilisateurs n’ont malgré tout pas mis très longtemps à trouver le titre de ces chansons.
PSA: the snapchat filter with the glasses is a real song and it’s called Now and Later by Sage the Gemini
— kellie. (@KelliePrager) 5 janvier 2017
Now and later by Sage The Gemini randomly started playing on Spotify and I thought I was using the lenses on snapchat hahaha
— Katie V (@19KateMia) 18 décembre 2016
Puis Sage the Gemini avait mis un terme au suspens en répondant à une internaute qu’il était bien l’auteur de la BO de ce filtre Snapchat.
@lizakoshy yo Liza the song on yo snap chat is called “now and later” by me sage the Gemini
— Fasi (@SageTheGemini) 30 décembre 2016
“Ce type de partenariat n’avait jamais été fait avant avec un artiste émergent”, explique à Mashable Chelsea Gavin, directeur marketing de l’agence Artist Partners, qui travaille avec Sage the Gemini.
Plus 4 millions d’écoutes par mois pour Sage the Gemini
“Ensemble, on a créé un filtre sonore”, explique Chelsea Gavin, “qui maximise l’expérience des utilisateurs, et entraîne un effet de curiosité autour de l’artiste”. En d’autres mots : ils savaient qu’ils avaient une bonne chanson entre les mains. Ils l’ont donné en pâture aux utilisateurs de Snapchat. Et les utilisateurs sont partis à la recherche de ce titre. Le plan était simple. Le résultat substantiel.
De novembre à décembre, la chanson “Now and Later” de Sage the Gemini a fait un bond de 1,1 million à 5 millions d’écoutes par mois sur Spotify.
Snapchat va de plus en plus loin en offrant une large variété de contenus, parmi lesquels de l’actualité, de la politique ou du sport. Dans certains cas, Snapchat paye une autorisation de diffusion de ces contenus. Dans d’autres cas, les revenus publicitaires de ces contenus sont partagés entre les éditeurs et Snapchat.
Le divertissement et la musique sont sans doute les branches les plus lucratives de la stratégie de Snapchat qui espère devenir une vraie marque de lifestyle, en incitant les influenceurs, les éditeurs et les annonceurs à investir toujours plus d’argent dans l’application. C’est d’ailleurs tout ce qui compte pour l’entreprise d’Evan Spiegel, qui prépare son entrée en bourse pour courant 2017.
Quand d’autres réseaux sociaux comme Facebook et YouTube subissent le courroux de l’industrie musicale qui tente de mieux sécuriser les droits d’auteur, Snapchat s’est fait une bonne réputation auprès des artistes et des labels, jusqu’à maintenant. Pour garder sa place de premier plan, l’application élabore de plus en plus d’expériences pour rendre possible la promotion et le partage de nouveaux titres – une machine promotionnelle pour une industrie qui a besoin de toute l’aide possible.
Evan Spiegel, passionné de musique
Voir Snapchat s’acoquiner avec des artistes n’est pas si surprenant, surtout lorsque l’on connaît la passion évidente pour la musique de son PDG Evan Spiegel. On peut d’ailleurs parcourir ses goûts musicaux via son compte Hype Machine, où l’on découvre qu’il est un fan de Goldroom, Chance The Rapper et The Chainsmokers.
“Parfois, il peut y avoir des défis à relever lorsqu’une plateforme se développe, mais [chez Snapchat] il n’y a que des passionnés de musique qui ont un vrai intérêt pour les artistes”, affirme à Mashable Chris Mortimer, directeur du marketing digital chez Interscope Records.
En 2014, le hack des emails du PDG de Sony Entertainment Michael Lynton révélait même qu’Evan Spiegel avait un temps envisagé d’acheter un label de musique et de signer un partenariat avec la plateforme de clips Vevo.
Ces deals n’ont jamais abouti, et ce n’est peut-être pas si mal. Diriger un label, cela signifie “prendre 100 risques et espérer que seulement quelque uns deviennent des hits, et ne se consacrer qu’à ça”, assure Scott DJ Skee Keeney, fondateur de Dash Radio. “Evan a eu la bonne idée d’aller à l’essentiel et de se concentrer sur la promotion d’artistes talentueux sur sa plateforme. D’ailleurs, ce n’est pas ce que fait un label de musique, c’est plutôt ce que fait une radio”, poursuit Keeney. Ce n’est pas la première fois que Snapchat montre de l’intérêt pour la promotion musicale. L’application avait déjà opté pour un titre de Goldroom dans le spot publicitaire qui accompagnait le lancement de Stories.
Et dans la dernière vidéo promo diffusée pour le lancement des lunettes-caméra Spectacles, Snapchat avait utilisé “The Less I Know The Better” du groupe indie-rock Tame Impala.
Snapchat travaille de près avec chacun de ses partenaires pour être sûr de border légalement l’utilisation de chaque musique dans un filtre ou une vidéo promo. Mais les détails de ces accords sont confidentiels.
D’après une source proche de l’application, Snapchat aurait l’habitude de payer les artistes pour acheter les droits de diffusion des chansons. Mais pour les filtres par exemple, on ne sait pas vraiment si Snapchat paye pour chaque utilisation ou s’il achète un droit de diffusion global à un prix fixe.
Le filtre d’Ed Sheeran a été placé en tête de la liste des filtres pendant trois jours, du vendredi au dimanche. Ce qui correspond normalement au prix de de 500 000 dollars par jour pour squatter cette place, d’après une source au courant des tarifs publicitaires de Snapchat.
Ces opérations sont mises en place par l’équipe en charge des partenariats musique de Snapchat, qui est dirigée par le vice-président responsable des partenariats Ben Schwerin et la directrice des partenariats musique Glenne Christiaansen.
Les campagnes réalisées avec Ed Sheeran et Sage the Gemini sont les preuves criantes que l’entreprise entend établir des relations sérieuses et efficaces avec des artistes et des maisons de disques, en leur proposant de customiser leur promotion via l’appli.
Pas de problème de piratage
Les bonnes relations de Snapchat avec l’industrie musicale sont aussi à relier au design spécifique et au mode de fonctionnement particulier de Snapchat. L’appli peut répondre aux besoins des artistes sans s’empêtrer dans l’éternel problème des droits d’auteurs auquel font face les autres médias.
Facebook et YouTube, où les vidéos peuvent être d’une durée illimitée et rester en ligne de façon permanente, sont tous les deux confrontés à la question du piratage et y consacrent beaucoup d’énergie et de ressources. Snapchat, de son côté, ne diffuse que 10 secondes de contenu, qui disparaît au bout de 24 heures.
Au fur et à mesure que la simple appli de messagerie se transforme en média, Snapchat intègre encore plus la musique au cœur de son business. En diffusant des concerts en direct via les Live Stories, en dévoilant des clips ou des titres en avant-première et en mettant en contact les artistes et leurs fans, Snapchat mélange les avantages de l’ancien (comme la radio ou MTV) et du neuf. Ajoutant même au passage une technologie de pointe : la réalité augmentée.
“Utiliser Snapchat pour connecter les fans à une expérience musicale c’est comme produire un docu-réalité”, explique à Mashable Chris Williams, chef de produit chez iHeartRadio. “Contrairement aux autres plateformes de réseaux sociaux où l’on ne fait que de la curation, avec Snapchat on filme et on édite ce qu’on veut partager de façon quasi instantanée. Ce qui apporte de l’immédiateté et de l’authenticité aux contenus partagés.”
Go on and watch our @Snapchat Live story “Jingle Ball: NY” right now for access to your fave #iHeartJingleBall performers! @NiallOfficial pic.twitter.com/uM9DUeIfXl
— iHeartRadio (@iHeartRadio) 10 décembre 2016
Avec sa Live Story sur Snapchat pendant les Video Music Awards, MTV a généré quelque 12 millions de visiteurs uniques en 2015. Et pour l’édition 2016 de la même cérémonie ? 21 millions de visiteurs uniques. De quoi convaincre l’industrie musicale de l’importance de se rapprocher de Snapchat.
En collaboration avec MTV, Snapchat a aussi diffusé en avant-première des extraits des clips de Madonna, Goldroom et The Weekend. Plutôt que de garder des exclusivités pour leurs chaînes tv traditionnelles, MTV et d’autres médias spécialisés dans la musique ont compris l’intérêt de se positionner également sur le réseau Snapchat Discover.
“Ce qui est bien dans Snapchat Discover, c’est qu’on peut raconter une histoire et ajouter du contexte autour de la diffusion d’un clip en avant-première”, explique à Mashable Bruce Gillmer, vice-président de MTV en charge de la programmation musicale et des événements à l’international.
“Nous ne sommes jamais aussi bons que lorsqu’il s’agit de donner accès aux fans à des interviews exclusives avec des artistes”, assure Bruce Gillmer, “et c’est ce qui nous permet de nous démarquer vraiment sur cette plateforme”.
Les DJs, précurseurs sur Snapchat
Les maisons de disque et les artistes voient un intérêt mutuel à utiliser Snapchat professionnellement et personnellement. Les artistes, comme n’importe quel autre utilisateur lambda d’un réseau social, pourraient se lasser vite et passer à une nouvelle plateforme. Mais la culture cool et lifestyle que Snapchat s’est créée parvient à les convaincre de rester.
“C’est l’un des derniers endroits où l’on n’a pas l’impression de faire juste de la curation”, confie le musicien Josh Legg, connu sous le nom de scène de Goldroom. “Snapchat reste mon réseau social préféré pour interagir directement avec mes fans. Ils ne sont pas contraints par une limite de charactère, et puisque les échanges ont l’air plus intimes, je pense que les gens ont l’opportunité d’y voir ma vraie personnalité.”
Les DJs ont été parmi les premiers producteurs de contenus sur Snapchat. Quand Vine fut un temps un réseau social assez complexe et confus pour la création et la découverte musicale, Snapchat leur promet la simplicité et l’authenticité.
I’m on snapchat my user name is diplo3000
— dip (@diplo) 3 décembre 2012
“Quand l’intérêt pour Vine a commencé à baisser, les influenceurs n’ont pas été les premiers à partir. Ceux qui ont quitté la plateforme en premier, ce sont les célébrités comme Diplo et Skrillex”, confirme un ancien employé de Twitter, qui a travaillé pour Vine.
“Vine avait demandé aux stars de ne pas reposter les contenus d’autres plateformes et de produire uniquement du contenu original, ce qui n’était pas franchement réaliste”, continue-t-il, “Snapchat leur permet de créer au quotidien des contenus qui ne demandent pas beaucoup de temps de production puisqu’ils sont amenés à disparaître rapidement, et cela est beaucoup plus attractif.”
À la recherche du tube de demain
Snapchat s’est transformé en un nouveau moyen de découverte musicale. La récente intégration de Shazam – qu’on peut désormais utiliser pour identifier n’importe quelle musique entendue dans un snap – montre l’énorme potentiel pour Snapchat de s’associer avec d’autres plateformes comme Spotify, SoundCloud, YouTube ou Vimeo.
“La musique est une activité sociale en soi, et la plateforme incroyablement populaire qu’est Snapchat lui convient parfaitement”, soutient Rich Riley, le PDG de Shazam.
Shazam n’a pas souhaité nous révéler si Snapchat touche désormais une partie des revenus générés par Shazam sur les plateformes de téléchargement de musique. Mais quoiqu’il en soit, même si Snapchat pique une partie des profits de Shazam, ce partenariat avec les 150 millions d’utilisateurs actifs au quotidien de l’appli au fantôme devrait largement réveiller l’enthousiasme autour de Shazam, une appli vieille de 18 ans.
Josh Legg alias Goldroom espère désormais voir Snapchat intégrer de nouvelles plateformes musicales dans le futur. Quant à Chris Mortimer, du label Interscope Records, il prédit un futur solide à Snapchat, basé sur ses succès passés : “Snapchat a largement fait avancer l’adoption de deux technologies : les QR codes et la réalité augmentée. Et la suite ce sont les Spectacles, qui offrent une perspective que personne n’a jamais eu, à part les artistes eux-mêmes.”
Ces artistes sont justement ceux que Snapchat va devoir continuer à courtiser si l’entreprise veut prospérer – en continuant à engager ses utilisateurs et à engranger des revenus – et éviter de finir comme Vine.
“Tant que les artistes continueront à innover sur Snapchat, les fans continueront de les suivre”, conclut Chris Mortimer.
Source : Mashable France 24