par Cécile Mazin, 14.02.2017
Le marché du livre en Ukraine compte pour 60 % d’importation d’ouvrages en provenance de Russie. Alors que le pays décide d’une interdiction d’entrée des œuvres, la décision retentit jusqu’en Sibérie. Et pour les éditeurs et libraires ukrainiens, c’est l’alarme.
Le risque le plus important, estime Ivan Bogdan, PDG de Yakaboo.ua, le plus important libraire en ligne du pays, « c’est que le marché peut être inondé de contrebande en quelques semaines ». Le conflit en Ukraine n’est plus vraiment à l’ordre du jour dans les médias français. Pour autant, les bombardements ne cessent pas.
Après une année de conflit, c’est le pire affrontement que le pays a enregistré, fin janvier. D’un côté, les pro-Russes, de l’autre, l’armée ukrainienne – et bien entendu, les civiles au milieu. La reprise des conflits le 29 janvier aura fait 23 morts, et aucun cessez-le-feu ne semble poindre.
Pendant ce temps, le parlement ukrainien vient de décider l’interdiction d’importer, jusqu’au 1er avril, des livres en provenance de Russie. Depuis septembre, cette idée était en réflexion : elle est maintenant mise en application. « Le coût moyen de la traduction se situe entre 3000 et 5000 $ par ouvrage… c’est trop cher pour les éditeurs ukrainiens, prenant en compte que la plupart des livres ne se vendent pas à plus de 2000 exemplaires », assure Ivan Stepurin, directeur de Summit Book, principale maison d’édition du pays.
Or, avec l’interdiction de la loi 5414 qui vient de tomber – en vigueur depuis le 1er janvier –, aucune des maisons locales ne dispose des ressources suffisantes pour remplacer les livres venus de Russie. Impossible d’assurer des traductions…
Alexander Afonin, directeur de l’association des éditeurs et libraires d’Ukraine, a confirmé les mesures restrictives. Et surtout, les angoisses qui sous-tendent ce choix : une pénurie prochaine, une désertion des points de vente…
Le marché noir va se frotter les mains
Pétro Porochenko, le président ukrainien, avait signé une ordonnance en décembre dernier qui prohibait déjà l’accès à tout contenu « anti-ukrainien ». Approuvée par le parlement, la mesure a été partiellement mise en place en début d’année. Et se généralise désormais.
Et ce n’est pourtant pas faute d’avoir entendu éditeurs et journalistes et libraires protester contre cette décision. Mais les importateurs n’ont pas eu d’autre choix que de se conformer à la décision, et depuis quelque temps, ont suspendu ou mis un terme à leurs accords avec les distributeurs russes.
« Avec des coûts de traductions et des achats de droits très chers, l’interdiction entraînera une pénurie de livres dans différents segments du marché. En particulier pour la littérature pédagogique, les classiques : partout où les éditeurs locaux n’ont qu’un mince impact », poursuit Ivan Bogdan.
Pour l’année passée, on estime que 100.000 exemplaires de livres importés de Russie avaient été vendus sur le territoire ukrainien.
Si plusieurs maisons envisagent de demander au Parlement d’annuler cette interdiction, rien ne semble décider à bouger. Mais surtout, insiste Alexander Afonin, aucune compensation pour les pertes à venir n’est prévue. Les maisons étant dans l’incapacité financière de produire plus, pour contrebalancer la situation, les conséquences pourraient être terribles.
Sauf qu’en l’état, c’est également le modèle fiscal du pays qui est en danger : avec une interdiction totale des importations, l’Ukraine se prive de recettes liées à ce commerce. En août 2015, une première liste de 38 ouvrages avait déjà été censurée.
Il faudra faire avec, jusqu’au 1er avril, date à laquelle des mécanismes de vérifications seront instaurés, ainsi que de nouvelles règles de contrôle.
Source : ActuaLitté